André, photograveur de mode

De son entrée au Petit Écho de la Mode en 1939, à la gestion d’une bonneterie, en passant par la vente de laine, la vie d’André Méheust, 97 ans, s’est tissée autour du vêtement. Et à Châtelaudren, l’histoire de la ville se raconte à travers celle de l’imprimerie et de ses ouvriers.

Penché sur la table de sa véranda, André Méheust feuillette un vieux cahier. Les pages sont jaunies et la couverture déchirée. À 97 ans, ses doigts tremblent en parcourant les lignes qui recouvrent le papier. Sur l’une d’elles, son nom apparaît, assorti de deux mentions : entré en 1939, sorti en 1952. Il était photograveur à l’imprimerie de Châtelaudren. « Il n’y avait pas autre chose ici. Après l’école, on allait travailler à l’usine », raconte-t-il en refermant le registre du personnel. « Je n’ai pas choisi mon métier. On m’a mis directement à la photogravure. Je devais faire des applats de couleur pour colorer les photos », explique la vieil homme, en poussant les clémentines et le muguet qui trainent sur la table. « On travaillait avec des grandes plaques en zinc. Il fallait que ce soit très précis », poursuit-il avec de grands gestes.

André et Michèle Méheust, chez eux.

André et Michèle Méheust se souviennent encore de la vie à Châtelaudren sous l’occupation allemande. Crédits photo : Clara Monnoyeur. 

De l'imprimerie au bunker

Ni salissant, ni très physique, le métier n’était pas trop difficile et plutôt bien rémunéré. « J’étais payé 50 centimes de l’heure, soit quatre anciens francs par jour. Pour un jeune, comme moi, qui n’avait jamais travaillé, c’était vraiment bien », sourit-il.  Mais quelques mois après son arrivée à l’usine, la guerre éclate. « Il s’est passé une chose très rare : ils ont continué de payer le personnel, même s’il n’y avait presque plus de travail », souligne André avec reconnaissance. Mais tout change en 1943, le jour de ses 18 ans, lorsque le Service du travail obligatoire (STO) est annoncé aux ouvriers de l’usine. « Une vingtaine de gars sont partis en Allemagne, mais moi, j’étais un gosse. Je suis resté en France », se souvient l’ancien photograveur. Lui est mobilisé pour construire des bunkers à Paimpol. 

En son absence, l’occupation allemande cause des dégâts à Châtelaudren. Michèle, la femme d’André, était encore enfant lorsqu’une fusillade a éclaté sur le pont près de la place de la République, en 1944. « Les Allemands ont tiré sur un petit attroupement, et des gens se sont réfugiés chez mes parents. D’autres ont sauté dans le Leff et les chauffeurs du Petit Écho ont emmené les blessés à l’hôpital de Guingamp avec leurs camions », se rappelle-t-elle. 

« Presque le paradis »

Après la guerre, l’activité de l’imprimerie reprend, et André réintègre l’atelier des photograveurs. « Tout le monde se connaissait, et l’ambiance était toujours très bonne. Par rapport au travail d’aujourd’hui, c’était presque le paradis. On n’avait jamais à demander une augmentation par exemple. C’était automatique », se souvient André avec tendresse. Sous ses sourcils en bataille, les yeux de l’ancien photograveur semblent voyager dans le temps. À une époque où le Petit Écho de la Mode se vendait encore très bien. Où l’imprimerie embauchait à tour de bras. Où quitter l’usine, « c’était presque une injure à la direction ». 

Pourtant, en 1952, André démissionne pour vendre de la laine sur les marchés. Une envie de « voir quelque chose de différent », explique-t-il. Il rencontre sa femme, se marie en 1953, fonde une famille et reprend le commerce de la famille de Michèle. « C’était une bonneterie, on vendait des chemises, des caleçons… Finalement, André est toujours resté dans le vêtement », s’amuse Michèle. Sauf que cette fois, c’est pour le prêt-à-porter. Pour le photograveur, l’usine et le commerce étaient l’envers et l’endroit d’une même étoffe. 

Violette Vauloup

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